Si Dorian Chamoin a choisi un nom de scène – Of Ivory & Horn – qui fait référence à la mythologie grecque et au passage des rêves, sa musique n’en est pas moins résolument moderne : sa folk rêveuse et onirique renouvelle incontestablement le genre. Un premier EP prometteur vient de sortir, parfait prétexte pour en savoir plus sur ce mystérieux Haut-Marnais…
Tu es déjà un musicien aguerri. Peux-tu nous retracer dans les grandes lignes ton parcours ?
Dorian : J’ai commencé la musique lorsque j’avais 5 ans par le piano classique d’abord et par le violon ensuite. Après je me suis dirigé vers la guitare, dans différentes écoles et conservatoires puis vers le chant. L’instrument que j’ai le plus joué est la guitare, mais le piano me hante. Sa résonance, son coffre et ses harmonies m’ont toujours bouleversés. Même dans ma façon de chanter, jouer avec un piano c’est être capable, même à pleine puissance, de faire ressortir la voix, et comme je n’ai pas étudié sur un piano droit mais sur un 3/4 queue, il fallait retrouver cette puissance. Mon premier disque est un album de guitare, où des thèmes qui ont fortement marqué ma conception musicale sont développés : les Fratres d’Arvo Part, Sonate au clair de Lune de Debussy … J’aurais voulu interpréter du Ravel et du Chopin mais je n’ai pas assez de doigts. Comme tu le remarqueras ce sont des oeuvres pour piano, que j’ai retranscrites pour guitare. J’ai fait un autre disque de reprises, pour « manger » comme on dit dans le jargon, avec un batteur. On a fait pas mal de dates, même hors de la France, et on était intermittents grâce à ça, c’était ma première expérience pro. Et puis il y a eu Of Ivory and Horn. Je suis un très gros fan de métal, mais je me suis vite rendu compte que j’aimais plus le silence que les 130 db ininterrompus. Je n’arrivais pas à explorer toutes les facettes de ma musique à travers ces esthétiques extrêmes. Et la voix m’a porté vers la guitare acoustique, folk, avec toutes les nouvelles techniques de guitares percussives, je me suis plongé là-dedans. En réalité j’écoute très peu de folk, juste les ovnis comme Bon Iver, James Blake et Ben Howard. Je vivais dans une ruine d’abbaye quand j’ai écrit mon premier disque de composition, j’étais seul avec moi-même et un poêle à bois, ce n’était pas facile tous les jours. Mais c’est là que j’ai compris à quel point le silence était terrifiant, assourdissant, puis apaisant. Cette force, j’ai essayé autant que possible de l’inclure dans ma musique : le changement d’humeur, la réflexion et se laisser envahir par les harmonies.
Il y a un concept derrière « Of Ivory & Horn » ou c’est juste un nom ?
D. : C’est bien un concept. Ça parle de l’errance d’Orphée dans les limbes, de ses choix, de ses réflexions. Ce sont des portes, libre à toi de les franchir. « L’homme occidental a peur de se perdre dans le labyrinthe. Dès qu’il y rentre il ne cherche qu’à en sortir, alors qu’il pourrait y trouver la plus grande connaissance ». Je me souviens de cette phrase d’un sociologue qui m’a beaucoup marqué. C’est vrai, on ne cherche qu’à fuir les endroits où l’on peut se perdre. Mais n’est-ce pas le but de l’artiste ? Quand on cherche des harmonies, des résonances, des mélodies, ne doit-on pas s’y perdre à en devenir fou ? Orphée dans l’histoire finit décapité par des femmes des enfers qu’il a fait pleurer. Le problème est qu’il est immortel, donc il va rester jusqu’à la fin des temps sous forme de tête qui chante. Il est aussi considéré comme la première figure des arts. C’est un mythe grec et sa morale est absolument dramatique : punit pour avoir ému. Mon écriture musicale est très simple, je pars d’un thème de voix le plus simple possible, et je développe une esthétique autour. Je ne cherche qu’à amener l’auditeur dans ces harmonies, pour changer son humeur.
Contrairement à un groupe, c’est plutôt ton projet et tu es accompagné de musiciens. Est-ce que tu n’as pas eu aussi la tentation de défendre ton projet en solo ?
D. : Je le défends déjà en solo. Mais cela ne m’intéresse pas. J’ai passé trop de temps devant un ordinateur à faire des prises, à jouer sur des samples ou/et avec sur scène. Ça c’est de la répétition, ce n’est pas du live. Quand tu montes sur scène c’est pour prendre des risques dans la musique, pour interagir. Quand tu es tout seul, tu ne peux prendre aucun risque, tu ne développes rien, tu recraches juste des trucs travaillés. Il y a évidemment des exceptions, entendons-nous bien. Mais c’est aussi la raison pour laquelle on essaye de ne pas jouer sur des samples. Pour moi, à partir du moment où tu ouvres la bouche pour chanter ou que tu poses tes doigts sur un instrument, c’est pour exprimer quelque chose, pour exprimer une humeur, pour aller vers l’art. Une piste audio, c’est tout sauf ça. Il n’y a qu’une seule fois où j’ai pris du plaisir à jouer en solo mais là encore je n’étais pas seul, c’était à un vernissage. Et l’artiste (artiste ouvrier – street art) peignait une fresque en même temps.
Ton premier clip a été réalisé en stop motion. Tu peux nous en dire plus sur sa conception ?
D. : Le stop motion est une discipline difficile, tu dois prendre 25 photos pour faire une seconde de vidéo. Sur un clip de 4’30, je te laisse faire le calcul du nombre de photos à prendre. Le réalisateur, Bérenger Cestre, est le compagnon d’une amie. Lorsque je bossais sur le synopsis et que mon esprit m’emmenait sur des délires esthétiques totaux, je leur ai rendu visite. En rentrant j’ai compris qu’il fallait que je fasse ce clip avec la technique du stop motion, tout simplement car c’était irréalisable autrement. Ça a été un très, très long boulot. La fabrication des personnages, les décors, la post production … On est vraiment fier d’avoir été au bout de ce défi.
Avec Angel, que nous interviewions le mois dernier, tu as été lauréat Zoom 2015. Comment s’est passé ce déplacement à Rennes ?
D. : Ça c’est bien passé pour nous, on a pris plaisir à être sur scène. Deux fois d’affilée c’est un vrai challenge, et ça te montre si tu es prêt. Surtout que c’est un nid de pro là-bas, donc au premier couac ça ne passe pas. Nous avons eu de très bons retours sur le live même si il y a toujours des choses à améliorer. Par contre nous avons eu de très mauvais retours sur l’équipe qui nous accompagnait, et ces retours étaient bel et bien fondés. Cela a entrainé de très nombreuses tensions, et pas au profit de la musique, ce qui est dramatique. Si j’ai un seul conseil à donner aux futurs lauréats Zoom c’est d’être sûrs et certains de leurs équipes. C’est aussi un très bon test, cela permet de voir qui profite de ton travail, et ceux qui essayent réellement de t’aider. Malheureusement quand le mal est fait, c’est déjà trop tard. C’est difficile d’être entier et de gérer son affect, en tout cas moi j’en suis incapable. J’ai passé plusieurs années sur scène avant d’arriver à le gérer dans la musique, la route est encore longue pour y arriver dans ma vie de tous les jours. Dans tous les cas, nous avons vu l’énergie dingue que dépensaient les gens de la région à inviter le maximum de personnes aux concerts, ce que je remercie. Tout ce que je peux faire c’est encourager les prochains ! Foncez !
Crédits : Adéral Piot