Ce mois-ci, Tony Fontaine répond aux questions de notre fiche métier pour nous présenter son rôle de responsable au sein du label “Les Disques d’en Face”.
Prénom / Nom : Tony Fontaine
Age : 37
Structure : Sarl Les Disques d’en Face
Activité : Label indépendant, Editions Musicales, Production, Développement d’Artistes, Entrepreneurs du Spectacle.
Peux-tu nous parler de ton parcours professionnel ?
Tony : J’ai un papa musicien amateur qui m’a transmis le virus de la musique dès mon plus jeune âge. Malgré ça, mes parents ne m’ont jamais vraiment mis d’instrument dans les mains ni incité ou obligé à prendre des
cours de musique. Quand je devais avoir 10 ans, ils ont fini par m’offrir un petit synthé Yamaha, un truc pour les enfants dont je garde d’excellents souvenirs. Mais j’ai commencé véritablement mon apprentissage à 16 ans, quand
j’ai eu ma première guitare classique. J’ai été un élève plutôt studieux jusqu’à l’obtention de mon bac en 1997, j’ai tenté une fac d’anglais, je n’y suis pas resté bien longtemps, je passais déjà mes journées à faire de la musique et à apprendre à me servir de logiciels comme Cubase pour composer des instruments pour quelques copains rappeurs, j’écrivais et rappais aussi d’ailleurs à cette époque. J’ai fini par suivre une formation de technicien du Son en 2000 au Studio Recorder au Pré St Gervais (93) et par la suite, j’ai fait tous les petits boulots possibles et imaginables pour me payer ce dont j’avais besoin (ordinateurs, samplers, synthés, platines, disques vinyles), j’ai fabriqué des verres de lunette, des paraboles, des croquettes pour chiens, des nuggets, entre autres, le temps d’investir dans du matériel et de monter un premier home-studio à moitié respectable. J’ai monté une association à but non lucratif, « Persiste & Signe », en 2002 pour être structuré pour la sortie de mon premier vinyle autoproduit. A partir de cette période, j’ai commencé à apprendre plein de choses sur le terrain, sur tous les « à-côtés » inhérents à la production musicale, l’administratif, la Sacem, l’organisation d’un concert… En 2005, j’ai commencé à faire de la scène tout
seul en tant que DJ, je mixais principalement du hip-hop bien old school. Je me suis installé à Troyes en 2007, puis par le biais d’un ami commun qui nous a mis en relation, j’ai rencontré un autre DJ, Julien (Little Juïce), qui est
rapidement devenu un très bon pote, on a mixé dans pas mal de soirées Drum’n Bass à cette époque, beaucoup sur Paris, au Batofar, à la Pointe Lafayette, au Zorba Zoo, Mains d’Oeuvres et j’en passe… puis on a décidé de s’associer pour monter le label Les Disques d’en Face en 2011, sous la forme d’une SARL.
En quoi consiste cette activité ?
T. : La chose qui nous excite le plus est sans aucun doute le développement d’artistes, découvrir une formation, sentir qu’il se passe un truc et les aider à grandir, à s’améliorer à tous les niveaux, sur scène comme en studio, c’est le plus excitant pour nous. En tant qu’éditeurs, on récupère une partie des droits d’auteur de nos groupes (1 tiers sur les droits de diffusion), si toutefois il se passe quelque chose sur le terrain (concerts, diffusions radios etc). Notre rôle consiste donc à faire tout notre possible pour faire connaître nos groupes, leur trouver un maximum de dates, les faire diffuser à la radio et en contrepartie, on récupère quelques droits d’auteur.
Avec qui es-tu en relation ?
T. : Avec tout le monde, des acteurs de la culture locale, départementale, régionale, nationale… ça passe par les artistes, d’autres labels ou structures qui ont les mêmes problèmes que nous et avec qui on va échanger de bons conseils, les programmateurs de spectacle vivant que ce soit des associations, des festivals ou des salles de concert, les radios indépendantes et parfois de plus gros médias aussi, la presse, des webzines, les institutions culturelles…
Quelles difficultés as-tu identifiées ?
T. : L’uniformisation de la musique en général, c’est notre plus grosse difficulté je pense. Pour certains décideurs dans ces métiers, le rap d’aujourd’hui, ça doit sonner comme ci, le rock comme ça, la techno minimale c’est ci, le métal c’est ça… En réalité, ça peut être tout et n’importe quoi et partir dans tous les sens, ça s’appelle la liberté artistique, mais ce n’est pas très lucratif. C’est ennuyeux et on n’est pas dans ce genre de réflexions. On s’appelle Les Disques d’en Face parce que comme plein d’autres indépendants, on se fiche de cette uniformisation, on est de l’autre côté de la rive, on fait les choses au coup de cœur, au feeling, avec plein de passion et de bonne volonté. On pourra suggérer à un de nos artistes que telle ou telle partie de son nouveau morceau mériterait d’être changée de telle ou telle manière, qu’il ferait bien de participer à tel tremplin ou dispositif de soutien, mais on ne l’obligera jamais à le faire s’il ne le souhaite pas et trouve notre idée mauvaise. On ne va certainement pas demander à Cadavreski de sonner comme Booba parce que c’est le créneau du moment, le truc rentable qu’il faut imiter, on veut que ça sonne, point. Et surtout que ça sonne comme du Cadavreski ! L’autre gros problème, pour moi, c’est le manque de curiosité et de prise de risque des « grands » décideurs dans ce secteur. Le meilleur exemple pour illustrer ça, c’est de regarder les groupes programmés dans les grands festivals de musiques actuelles et dans les SMAC, on a beau parler de musiques dites « alternatives », tu retrouves toujours les mêmes noms partout, dans tous les festivals et dans toutes les SMAC, pour ceux qui ne font pas partie de ce petit club, qui ne sont pas signés chez les quelques tourneurs ou bookeurs qui vendent tous ces fameux groupes, tu as intérêt d’avoir la tête sur les épaules et un bon réseau si tu veux jouer dans de bonnes conditions. Heureusement, il y a plein d’associations et quelques organisateurs plus passionnés par la qualité de la musique, le côté créatif et original,libertaire, que par la rentabilité de leur festival ou de leur salle. Une fois de plus, il y a des gens qui prennent des risques, et bien sûr ce ne sont pas
forcément ceux qui ont un budget conséquent pour le faire, bien au contraire… On a essayé de rentrer dans ces gros réseaux, je ne vais pas mentir, aujourd’hui on préfère prendre d’autres chemins, la question ne se pose même
plus pour nous.
Qu’est-ce que tu apprécies le plus dans ce travail ?
T. : On a un projet, on le fait grandir avec nos petits moyens, selon nos envies, nos humeurs, selon la disponibilité de nos groupes, on fait ce qu’on veut et ce que l’on aime. À notre époque c’est déjà un sacré luxe. On ne doit rien aux banques, c’est ce qui nous sauve après 5 ans d’existence, on a tout monté et développé avec des investissements personnels, on ne se doit de l’argent qu’à nous-même ! On le récupèrera tôt ou tard, ou peut-être
jamais, on aura fait ça en tout cas. On est toujours autant excités par ce qu’on fait et ce qu’on a mis en place, c’est compliqué, ça peut être très usant, surtout dans ce milieu de la musique, mais c’est vachement mieux que de bosser pour un patron qui ne te respecte pas ! Et surtout si on ne sert strictement à rien pour plein de gens, on apporte beaucoup de plaisir et de joie à d’autres aussi ! Et c’est bien ça le principal.
Quelles sont tes perspectives ?
T. : Continuer l’aventure, et qu’elle soit de plus en plus belle et excitante ! Sinon prendre Pascal Nègre en stagiaire aussi un jour, pour lui montrer le quotidien d’un label indépendant et qu’il m’apporte un café.