Puisque la musique peut aussi servir à s’évader, The Jungle Shakers nous aident à oublier le temps. Clairement tournés vers une époque pour l’instant révolue, à savoir le rock’n’roll, leur attitude, elle, reste intemporelle. Ce duo d’artisans s’attache à produire des œuvres guidé par des valeurs comme la sincérité et l’authenticité avec pour seul objectif de produire une expérience singulière, en se foutant un peu près de tout le reste… Autant dire qu’il ne pratique pas la langue de bois, et c’est tant mieux…
Quelle est l’histoire de « The Jungle Shakers » ?
Kid : Nous avons commencé la musique dans un groupe punk rock à l’époque du Lycée. Nos influences premières étaient les Ramones, The Clash, du punk plus ou moins contemporain de partout et beaucoup de groupes français comme La Souris Déglinguée, Les Sheriffs, Les Sales majestés… Nous écoutions et avions soif de toutes les sous cultures proches du punk : le ska, le hardcore old school puis rapidement le psychobilly, le rockabilly, le blues… On ne s’est jamais mis de barrières en considérant tout cela comme une grande famille. Nous avons appris à jouer de nos instruments sur le tas. Puis la vie a fait qu’on s’est retrouvé à deux dans le groupe Boo Lee et moi (Kid), je voulais me mettre à la contrebasse depuis un moment principalement grâce au groupe Français Happy Drivers qui a été une claque pour moi, une énorme découverte. Boo Lee a fait le pari fou de jouer en même temps la batterie, le chant, la guitare, l’harmonica. Ce qui est dingue c’est que c’est venu très naturellement sans vraiment y réfléchir. On s’y est mis sous cette forme avec passion et cela n’a fait que progresser. Nous voulions aller vers des influences rock n roll roots mais l’énergie punk nous colle à la peau. Comme nos groupes préférés sont ceux qui possèdent leur propre son, les inclassables avec des « frontmen » hors pair comme Misfits, Gun Club, les Cramps, on y a été à fond.
Pouvez-vous nous parler de « 19,02 minutes of true stories » ?
K. : C’est un projet né fin 2019. Nous avions fait une super année en termes de concerts : toutes les salles des Ardennes, le Cabaret Vert, de chouettes premières parties à chaque fois et des choses étaient en attente de confirmation pour l’année suivante. Nous devions probablement jouer dans d’autres régions ainsi qu’en Belgique et en Hollande. Nous voulions refaire du studio, pour sortir un nouvel EP et présenter de nouveaux titres. Et c’est à ce moement que sont arrivées les histoires de confinement… Nous avons donc voulu exprimer des choses différentes de ce que nous faisons habituellement, notamment en collaborant avec d’autres musiciens. C’est là que cet EP prend tout son sens. Nous remercions chaleureusement Sébastien Hahn et Nico aux manettes du studio Sapristi, Julien, batteur dans plusieurs formations de la région, Axel du groupe Red Rocket 7 et JAFAC de Cosmic Hill. Nous avons pris le temps, puisque nous l’avions, de penser ce projet comme une œuvre presque littéraire : nous nous exprimons à travers les titres « clés » de notre parcours musical, correspondant à des chapitres, comme dans un livre. Le tout ayant une durée de 19.02 minutes… Comme nous sommes des grands fans d’art en général, de cinéma et de littérature, les choses se sont rapidement liées. Dans cette œuvre se trouve le monde que nous avons créé avec nos influences, indissociables des expériences vécues et de nos souvenirs. Ce projet devait sortir en vinyle mais par manque de concerts et par crainte de ne pouvoir le diffuser correctement sous cette forme, nous allons privilégier un accès en digitale.
De quels soutiens avez-vous bénéficiez pour réaliser ces titres ?
K. : Nous tenons à remercier Martial et l’AME pour l’accès au dispositif, le suivi, la résidence et le financement. Cela nous a permis de progresser. Nous remercions également les autres acteurs du dispositif comme Ardennes Métropole, la région Grand Est, le Polca, permettant aux artistes locaux de mener à terme leurs projets.
Les visuels ont toujours été importants dans le rock’n’roll. Comment avez-vous travaillé ceux de ce projet ?
K. : Nous tenons à remercier Liza Butryn, une photographe ardennaise, qui a fait un travail visuel remarquable. Nous avions toutes les idées en lien avec la science fiction rétro, chose que nous avons déterminé comme thème principal dès le début de ce projet. Liza a amené « la cerise sur le gâteau » en nous permettant de réaliser les photos pour les réseaux avec la fibre artistique recherchée. En effet, le rock‘n’roll est souvent lié à la BD par exemple. Il y a de superbes réalisations et beaucoup de créativité en termes de vinyles, de clips… Nous voyons cela comme une série d’influences digérées puis recrachées avec sa propre vision. Un visuel rock, selon nous doit, paraître naturel, être catchy et avoir du sens avec ce que l’on est et ce que l’on cherche à exprimer. Sans cela, c’est de l’imposture. Le rock, c’est aussi sortir des sentiers battus. Pauser sur une Cadillac sous prétexte qu’on joue de la contrebasse ou qu’on porte un cuir ne suffit vraiment pas, c’est un cliché qui ne nous ressemble pas.
Comment se porte le rock’n’roll en 2021 ? Dans une récente interview (sur le site du Polca), un groupe lâchait qu’il s’agit d’une musique de vieux grincheux…
K. : Tout dépend comment on pense le rock. À l’heure des musiques électroniques et du rap instagram, effectivement, je ne suis pas certain que former un groupe avec des guitares dans une cave soit encore un truc d’adolescent. Le contexte social restrictif nous forçe aussi à aller vers des groupes d’appartement sur PC. Après, nous allons chaque année dans des festivals rock’n’roll plus ou moins underground, qui tiennent dans le temps, avec des groupes émergents, des adeptes, des prophètes, un public fidèle et toujours présent. Je pense qu’il y aura toujours des niches, des personnes intéressées par cette forme d’expression qui évolue malgré tout. Le rock, qu’on le veuille ou non, n’échappe pas à la question des réseaux où tout se fait aujourd’hui. Je pense que le sex, drugs and rock’n’roll, des backstage de folie, c’est terminé depuis un moment… Ce qui est triste, et c’est là où je passe aussi pour un vieux grincheux mais c’est une question de point de vue, c’est que l’image prend le pas sur à peu près tout, ce qui rend l’authenticité difficile à cerner. Je veux dire par là que je me fou qu’un mec que je vais voir en concert ait 100 000 like et une chaîne YouTube qui explose. Je veux vivre un moment et voir une personne que je ne croise pas dans ma vie chiante, celle de tous les jours, à travers une performance qui me colle au mur. Autre exemple : quand je vois des punks à crête sponsorisés sur Facebook, cela me pose problème… Je trouve que cela illustre bien la bizarrerie du monde actuel. Au sein de Jungle Shakers on s’y met tranquillement, presque par obligation, mais ce n’est pas notre culture : je n’ai ni spotify, ni deezer… On a été élevés culturellement avec le do it yourself à l’ancienne, au moment de la fin des fanzines et des affiches.
Quels sont les projets du duo ?
K. : Comme je le disais plus haut, nous avions pour projet de sortir du département et du pays, de belles choses étaient en cours ou en discussions. Malheureusement, le contexte est venu tout remettre à plat. On a vraiment soif de live. C’est là que nous nous sentons à notre place. C’est notre exutoire, ce qui donne du sens à notre vie et ça commence à sérieusement nous manquer. En attendant, on travaille donc à se mettre un peu plus à la page au niveau des réseaux sociaux, des plateformes digitales, histoire de pouvoir quand même diffuser notre musique un minimum… Nous travaillons aussi désormais la vidéo en autodidactes, en particulier Boo Lee qui monte la plupart de nos récents clips.