Exigeant avec lui-même et perfectionniste, Grindi Manberg n’a pas ménagé sa peine pour produire son album. Mais le résultat en valait la peine : “See the ferries fade away” atteint un niveau de cohérence et de densité rare pour un premier LP. Rencontre avec son principal artisan : Romain Thominot.
Que s’est-il passé entre ton premier EP, sorti il y a 3 ans, et ce premier album ?
Romain : Je commençais à perdre espoir à la fin de l’été 2014 quand Julien Soulié, alors nouvellement directeur du FAIR, m’a appelé pour m’annoncer qu’on faisait partie des lauréats de l’année 2015. Cette sélection m’a donné l’énergie et l’enthousiasme dont j’avais besoin à l’époque pour persévérer. On avait eu quelques beaux retours après la sortie de l’EP mais les concerts n’avaient pas suivi comme on
l’espérait. En outre, je n’avais vraiment pas le sentiment d’une œuvre aboutie. Julien m’a présenté Robin Leduc, musicien et producteur possédant le studio Spectral à Paris et ce dernier m’a ouvert grand les portes de sa caverne d’Ali Baba pleine de vieux instruments et de vieilles machines. Sa patience et sa générosité furent déterminantes dans la finalisation de mon disque. Il ne serait pas sans lui ce qu’il est aujourd’hui. Même si j’ai passé beaucoup de temps seul à enregistrer ou mixer, sa bienveillance, sa culture, son expérience et la chance d’avoir accès à tous ces instruments inspirants furent précieuses. Grâce au FAIR, nous sommes aussi partis jouer au Mexique et ce fut
extraordinaire, littéralement. C’était la première fois que je combinais ces deux choses importantes dans ma vie que sont la musique et le voyage.
Comment as-tu produit et enregistré les morceaux qui composent « See the ferries fade away » ?
R. : J’ai pris le temps nécessaire pour trouver le son que je cherchais, pour garder les bonnes prises, celles qui me faisaient vibrer à l’enregistrement et à l’écoute, je suis allé chercher les émotions que j’avais au plus profond de moi. Ces chansons ont une grande importance dans ma vie, ayant pour sujet des sentiments ou des idées qui me hantent chaque jour, je ne pouvais pas me contenter de prises à moitié réussies. J’ai attendu le bon moment pour les figer. Cette fixation des émotions sur disque avait quelque chose de capital. La voix mue chaque jour. La veille, elle aurait sonné faux et ce soir-là, quelque chose se met en œuvre, on renoue avec l’émotion qui fit naître la mélodie. A l’avenir, j’aimerais autant que possible enregistrer ma voix au moment même de la naissance des chansons pour ne pas avoir à retrouver cet état d’âme originel. Sinon, c’est prendre le risque de l’enregistrer froidement, mécaniquement et ainsi s’éloigner d’une certaine vérité. Il y a des chansons que j’ai enregistrées à diverses reprises, espacées parfois de plusieurs mois ou années. L’album réunissant des chansons plus ou moins anciennes, j’avais à cœur de rendre le tout homogène, il y a donc eu un gros travail sur la couleur du son. Des heures à sculpter des nappes de synthétiseur. Je cherchais des sonorités plus organiques, moins froides que
dans mes chansons précédentes. J’ai beaucoup plus fait jouer Odilon Horman (le batteur) que sur l’EP où la plupart des rythmes étaient programmés. Je dirais que le titre “September Sunset Murmur”, le plus récent, a donné la direction au reste de l’album. La réalisation de ce disque n’a pas toujours été heureuse, je me souviens de certains retours dans le train à penser que je n’y parviendrai jamais.
Quels ont été les artistes qui ont guidé ta création ?
R. : J’essaie le plus souvent de me défaire de mes influences lorsque j’écris mais il y a des héros qui ne cessent jamais vraiment de m’auréoler. Elliott Smith, Deerhunter, les Beach Boys, les Zombies, Bill Fay, David Bowie, Sufjan
Stevens… Des cinéastes, leurs films et les compositeurs associés. Les visages, les voix d’acteurs et d’actrices aussi. “L’Eternité et un Jour” de Theo Angelopoulos, “le visage” de Bruno Ganz. “Assurance sur la mort” de Billy Wilder, “le visage” de Barbara Stanwyck, “Monika” d’Ingmar Bergman, “le visage” d’Harriet Andersson. Je les cite parce qu’il y a des mots dans les chansons du disque qui ont été provoqués par ces films. L’intro de “Gestures in a Chasm” est née de la vision de “L’Ami Américain” de Wim Wenders et de l’écoute de la BO de Jürgen Knieper. La chanson “Lime Green Childhood” a été composée au départ comme une musique de film. Orchestré différemment, le thème du refrain pourrait être celui d’un film.
Le cinéma est-il toujours une source d’inspiration pour toi ? (Grindi Manberg étant une anagramme d’Ingrid Bergman)
R. : Il y a des jours où je voudrais m’enfermer dans une salle obscure à la lumière des cinéastes que je chéris. J’aime le cinéma mais je ne suis pas cinéphile pour autant, je ne connais pas tous les classiques. J’aime simplement ce refuge, cette échappée, cette réflexion, cette secousse, ces visages et ces voix bouleversants, ces images hantantes, ces autres vies à l’écran, ces autres vies possibles, envisagées face à l’écran. Ce sont des rêves, cauchemars ou réalités qui laissent des traces et nourrissent forcément mes mélodies. Il y a dans
plusieurs de mes chansons l’idée de passer de l’autre côté qui vient d’une insatisfaction quotidienne. J’aime l’illusion de vivre un peu dans certains films, avec certains personnages. Le doux visage d’Ingrid Bergman a quelque
chose d’apaisant.
Comment comptes-tu mettre à profit ta participation à l’opération Zoom Musiques Actuelles Grand Est ?
R. : Grâce au Zoom, notre présence aux Transmusicales de Rennes sera l’opportunité d’inviter des professionnels à venir nous voir jouer. Notamment des programmateurs français ou étrangers. Il me tarde de présenter le disque en concert, en France et ailleurs. J’aimerais aussi travailler sur la communication du projet et notamment renouveler nos photos de presse.
Credit photo : Ben
Pi / Cyril Dauneau
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