En partenariat avec le site musiquesactuelles.net, nous avons retranscrit partiellement l’interview de Dimitri Khodja à l’origine du disquaire bar “The Message”. Cette interview fait suite à celle que nous avions proposé quelques mois après son ouverture en 2015. Même si du chemin a été parcouru depuis, les propos de Dimitri démontre bien à quelle point la situation des disquaires reste très fragile et les conséquences du Covid-19 ne vont évidemment rien arranger…
Une rapide présentation de Stéphane, qui a rejoint Dimitri peu après l’ouverture du lieu, s’impose.
D. : Stéphane a travaillé pendant 18 ans à la Fnac – Forum des halles et pendant une dizaine d’années au rayon rock indépendant. C’est le plus gros magasin Fnac de France. Il a monté avec Julie, qui travaillait aussi à la Fnac, le premier disquaire bar : The Walrus, situé rue de Dunkerque à Paris. Il a ouvert environ 6 mois avant The Message. Nous nous sommes connus parce que je travaillais dans une maison de disques et on se croisait très régulièrement.
Dimitri répond ensuite à Mayliss sur le choix de la diversification des activités…
D. : C’est un choix qui a été assumé au début mais qui est aussi déterminé par une forme de réalité économique. Est-ce que l’activité de disquaire suffit dans une ville comme Troyes ? Non, même à Paris où il y a certes beaucoup plus de clients et une zone de chalandise beaucoup plus importante. En même temps, il y a une concurrence de plus en plus accrût au niveau des disquaires en France. Quelque soit la ville, ça reste un projet compliqué. Je ne veux pas décourager tout le monde mais les marges sont très faibles. Ça fait quasiment 20 ans que je suis dans l’industrie du disque et je ne connais pas un disquaire qui ait une trésorerie avantageuse. On est tous rémunéré avec un salaire faible. Dans le meilleur des cas, c’est au Smic mais c’est loin d’être une règle absolue.
Puis il compare les conditions des disquaires avec celles des libraires…
D. : En ce qui concerne les libraires, il n’y a pas du tout les mêmes garanties et les mêmes moyens mis à disposition. Les libraires sont davantage soutenus par la loi Lang avec un prix unique, une marge garantie, des retours pré-négociés et quasi automatiques au bout de 3 mois. Pour le disque, c’est loin d’être ça. C’est un peu le secteur pauvre et pas protégé de la culture depuis 1981. La loi Lang protège […] les librairies indépendantes avec le principe du prix unique. Que l’on soit chez Leclerc, dans une petite librairie indépendante où que l’on soit sur Amazon, le prix du livre reste le même. Il est fixé par l’éditeur. Ensuite, s’il y a un retour, ce sont des prix qui sont pré-négociés et les libraires peuvent retourner un livre de manière automatique sans demander au préalable l’autorisation à l’éditeur. Aujourd’hui, on ne peut pas faire la même chose pour un vinyle. Il y a encore des indépendants qui propose ce service mais pour les autres c’est vraiment rude. Il y a aussi une TVA sur le livre qui est à 5,5% car c’est considéré comme un produit de première nécessité. La TVA du disque est à 20 %, ce qui a un impact énorme sur le prix final. De ce fait, ça n’incite pas du tout à acheter des disques. Au niveau de la Drac, il n’y a strictement rien qui est mis en place pour soutenir la mise en place d’un disquaire en Grand-Est alors qu’un libraire va avoir des aides pour constituer son fond par exemple. Après son ouverture, il pourra aussi ouvrir un nouveau rayon et obtenir de nouveau des fonds. Le seul soutien aujourd’hui pour les disquaires, c’est celui du CALIF, le réseaux des disquaire indépendants, qui aide au niveau des loyers les premières années mais c’est presque symbolique.
Mayliss : Le Calif, c’est un réseau que les disquaires ont créé pour essayer de compenser le manque d’aides publiques ?
D. : Oui, il y a une petite aide. C’est un pourcentage du loyer lié à la surface dédiée à la vente de disques. Ca ne prend pas en compte toute la partie bar par exemple mais que le rayonnage. C’est vrai qu’à l’ouverture, nous n’avions pas fait la demande. Aujourd’hui, je pense le faire mais vu que l’on a d’autres dossiers en cours pour changer de statut, je me pose des questions. Nous sommes actuellement en SARL et nous voudrions passer en SCIC. C’est un peu comme le principe d’une SCOP et cela permettrait de demander des subventions publiques, ce que le statut SARL ne permet pas de faire. Il permet aussi de faire appel à du bénévolat et de rendre le projet plus coopératif. Cette piste de réflexion a été menée un mois [avant le début du confinement] mais pour l’instant […] nous sommes à l’arrêt. Nous sommes dans le flou le plus total. Avant le confinement, on était déjà dans une période compliquée parce que notre activité est très fragile. On fait du chiffre mais l’activité showcase a aussi été touchée. Cette activité […] fait vraiment partie de l’ADN du projet.
Mayliss demande ensuite si des actions des distributeurs ou des initiatives plus politiques permettraient de soutenir économiquement les disquaires.
D : Pour répondre à ta question, je suis un peu obligé de revenir sur l’histoire du marché du disque. Nous sommes passés du vinyle au cd dans les années 90, puis à l’émergence de la Fnac qui a pris une place énorme sur le marché du disque. Dans un domaine comme le rock indépendant, la place de la Fnac était, pour y avoir travaillé, un domaine énorme qui représentait quasiment 60% des ventes en 2010. La Fnac suffisait à faire vivre toute l’industrie du disque. Aujourd’hui, la Fnac a réduit considérablement ses rayons de disques et Cultura n’a pas […] remplacé […] la Fnac. Virgin Méga Store n’existe plus et la grande distribution alimentaire a quasiment supprimé tout ses rayons de disques. C’est […] aujourd’hui qu’il faut réinventer la place des disquaires indépendants. Cependant, nous aurions besoin qu’il y ait un syndicat des disquaires indépendants qui prenne les choses en main. Il y a quelques tentatives qui émerge mais c’est trop disparate. Il n’y a que le Disquaire Day où il y a un réel intérêt pour nos métiers. Sinon, le reste de l’année on n’entend jamais parlé d’un disquaire.
M. : Avec la bulle du CD qui a explosé dans les années 2000 et le basculement au numérique, j’ai l’impression que plusieurs labels se redirigent vers le format vinyle. Comment est ce que tu vois ce retour […] ?
D. : Quand on parle de courbe ascendante du vinyle, je ne suis pas tout à fait d’accord et dire qu’il y a plus de ventes de vinyles que de cd, ce n’est […] pas la réalité. Ce n’est pas tant la vente de vinyle qui explose mais surtout la vente de cd qui décline. En faite, c’est presque plus inquiétant de voir cette tendance. Après, […] je suis un amoureux du vinyle donc je ne vais pas du tout critiqué ce support. Je ne peux que soutenir ce marché chaque année afin qu’il soit de plus en plus gros. Mais il ne faut pas rêver non plus, cela reste tout de même une niche.
M. : Il y a 5 ans vous [avez] monté une SARL parce que c’était ce qui paraissait le plus évident pour une structure qui avait pour but de vendre des disques ?
D. : Complètement ! De toute façon, le statut que j’évoquais tout à l’heure n’existe que depuis deux ans. Aujourd’hui, l’approche que l’on a des statuts est un peu plus coopératif. Ce n’est pas du tout la même que celle que l’on abordait il y a encore quelques années. Tout est fait aujourd’hui pour contribuer à la mise en place de [ce type de] statuts alors qu’avant cela éveillait des soupçons et des doutes. La société change très rapidement et il est probable que ce que je dis ce sera complètement obsolète dans trois ans. […] Pour les labels, ce sont [aujourd’hui] le plus souvent des associations. Les distributeurs ne sont pas des associations mais des entreprises et les disquaires sont aussi jusque maintenant des entreprises. De toute façon, toutes ces questions vont resurgir dans les semaines à venir. Tout le monde est énormément touché [par la crise du Covid-19]. Je pense qu’il y aura [des acteurs de la filière] qui seront aussi obligés de fermer.
La discussion s’oriente enfin sur la question d’un tiers lieu culturel à Troyes…
D. : Le Rucher Créatif existe déjà. C’est un peu un tiers lieu mais qui est vraiment orienté vers l’économie. Il loue des bureaux à des entrepreneurs ou à des auto-entrepreneurs. Ils font des expositions de temps en temps. Mais l’idée c’était de monter un véritable projet de tiers lieu culturel à Troyes [avec plusieurs acteurs dont le Rucher Créatif]. Ça nous permettait de voir les choses en un peu plus grand, d’avoir une scène […] pour les showcases et de continuer notre activité dans un lieu mêlant bar et concerts. En fait, il y a différents acteurs [dont l’Âme du Temple] dans [le projet de] cet hypothétique tiers lieu, on est qu’une branche de l’arbre.
Le podcast complet réalisé par Mayliss est à retrouver ici :
Ce contenu est partagé dans le cadre de la collaboration entre musiquesactuelles.net et le Polca – Pôle Musiques Actuelles.