Après 35 années d’existence, Radio Primitive a vu évoluer le secteur des musiques actuelles. L’arrivée d’internet, des changements de comportement… Eric Jonval nous raconte comment ces évolutions ont marqué le quotidien de cette radio associative.
Le site américain Pitchfork a consacré un dossier sur les radios étudiantes et sur leur évolution. Le contexte n’est évidemment pas le même en France mais il y a des similitudes. Quelle est la place des radios associatives aujourd’hui ?
Eric : Elle a considérablement changé parce que les radios associatives, au cours des années 80 et début des années 90, étaient reines. On était les rois. Pour monsieur ou madame tout le monde, découvrir de la musique ce n’était pas simple. Si on avait de l’argent, c’était bon, on allaitchez le disquaire et on achetait pleins de disques. Mais après, si on se devait d’écouter les radios, la plupart proposait de la variété internationale. Si vous aimiez ça, vous étiez content, mais si vous aimiez des choses un peu plus pointues, plus décalées, ce n’était pas le cas. À cette époque, les radios associatives ont pu jouer ce rôle et c’était confortable de ne pas trop se poser de questions, tout simplement de diffuser des disques. Tout a changé avec l’apparition d’internet puisqu’à ce moment-là, c’était fini. C’est-à-dire que pendant que nous on diffuse simplement un disque en donnant quelques informations, l’internaute est tout à fait en capacité de l’écouter quand il veut. Nos émissions sont programmées de telle heure à telle heure, alors que l’internaute, s’il veut écouter un titre au milieu de la nuit peut le faire. Et puis non seulement, il peut écouter l’album entier et les autres albums. Mais il a la possibilité aussi de trouver des photos, des vidéos, télécharger légalement ou illégalement… D’où le questionnement qu’on a pu avoir globalement dans la radio ou individuellement dans chaque émission. Qu’est-ce qu’on peut faire ?
Notre idée c’est qu’internet est comme une jungle. C’est très bien mais tout le monde n’a certainement pas le temps de faire un travail de recherche, un travail de découverte. Donc le rôle de l’animateur de radio, c’est de faire ce travail. Essayer de trouver ce que l’internaute n’a pas su trouver. C’est un label qu’on revendique. Celui de radio de découverte pour aller chercher les choses qui ne sont pas grand public.
Avec le recul, comment analysez-vous l’influence qu’internet a eu sur le fonctionnement interne de la radio ?
E. : Il n’y a pas eu tellement de choses au final qui ont changé dans le fonctionnement interne. Il y a une dizaine d’années environ, il y a eu une volonté des maisons de disques de ne plus envoyer d’album physique aux radios et de mettre en place un système d’envoi de fichiers. Très rapidement, on s’est heurté à plusieurs problèmes. D’abord, ce n’était pas simple parce que les formats qui étaient envoyés des uns et des autres étaient différents, donc le logiciel ne les acceptait pas tous. En plus, il fallait entrer un certain nombre de données comme les titres, le nom de l’artiste… Ce qui supposait de notre côté un travail très important. C’est devenu une vraie usine à gaz ce truc-là. Au début ça marchait, mais au bout d’un moment on ne s’y retrouvait plus. Les maisons de disques ont fini par laisser tomber. Aujourd’hui, on continue à recevoir régulièrement des CDs à cette différence qu’en amont, la maison de disque ou le label, en tout cas pour certains, sont en capacité de nous proposer, avant de dépenser de l’argent à vous envoyer un album, d’écouter les albums grâce à un lien pour qu’on puisse leur dire si ça correspond à notre
couleur d’antenne. Mais nous on continue de travailler à l’ancienne avec des disques qui sont dans un bac à nouveautés où chacun vient piocher.
Ce qui a changé aussi, c’est la présence sur internet. Les gens supportent de moins en moins de se dire, je suis assis devant ma télévision ou devant mon transistor de telle heure à telle heure pour écouter une émission. On en pense ce que l’on veut mais c’est comme ça. Les auditeurs veulent pouvoir trouver ce qu’ils désirent au moment où ils le veulent même si c’est en plein milieu de la nuit. On a donc un système de postcast mis en place pour les émissions d’informations et quelques-unes des émissions. C’est au bon vouloir des animateurs de prendre le temps pour les gérer.
Je continue à me demander, et là c’est une autre question presque philosophique… Est-ce qu’il faut vraiment ne rien rater dans la vie ? Si je me place en tant qu’animateur d’une émission, bien entendu que je suis content
que des gens écoutent mes émissions. Et je suis tout autant content s’ils sortent de chez eux et qu’ils puissent continuer à l’écouter. Mais d’un autre côté, est-ce que c’est si grave que ça s’ils manquent un bout d’émission ?
Et qu’au lieu d’avoir un téléphone vissé sur les oreilles, ils prennent le temps de regarder ce qui les entoure ? Pour moi, ce n’est pas grave. Il faut accepter le fait que l’on rate des choses quotidiennement. La radio c’est aussi ça, un moment on est dans le flux, et ensuite on n’y est plus. Ce n’est pas grave.
Et dans votre manière de découvrir et de sélectionner les titres qui sont diffusés sur les ondes ?
E. : Je ne suis pas sûr que ça ait changé tant de choses que ça. Ce qui importe fondamentalement pour un musicien, c’est que l’on écoute sa musique. L’exercice est tout simple, il suffit de glisser un CD ou de lancer une piste. Est-ce que la chose la plus importante ce n’est pas l’écoute du disque au final ? Donc ça, ça n’a pas changé. Effectivement, ça s’écoute plus rapidement.
Je continue de penser que ça pose un autre problème. La rareté de la musique dans les années 80/90 faisait qu’on prenait le temps d’écouter un certain nombre de disques. Maintenant, et je vais jouer le vieux con parce que j’aime ça, cette façon de pouvoir tout récupérer, de stocker, et encore une fois, les gens n’ont pas forcément le temps, font que les titres ne sont même pas écoutés ou juste une fois. Est-ce que c’est ça le but du jeu ? Il y a un truc qui m’étonne. Donc ça n’a pas trop changé en fin de compte, un artiste fait un CD, il suffit de le lancer et de prendre le temps de l’écouter. C’est aussi simple que ça.
Quels changements avez-vous dû effectuer pour rester attractifs ?
E. : L’essentiel, c’est de ne pas se reposer sur nos lauriers. Ça bouge et ça bougera encore. Et si on part sur cette idée de radio de découverte, notamment musicale, je dirais qu’il y a plus de boulot à faire qu’avant. Quand il suffisait de piocher dans sa discothèque, d’arriver à la radio et de passer des disques, maintenant chaque animateur doit prendre plus de temps pour préparer son émission pour justement faire ce travail de défrichage.
Selon vous, qu’est-ce qui fait l’identité de Radio Primitive ?
E. : C’est sans doute le fait qu’on refuse de s’enfermer dans un genre. Contrairement à d’autres radios qui choisissent de rester sur un style musical particulier, nous on n’est pas du tout dans cette réflexion. C’est plus global, sur la ligne éditoriale de la radio, qui se décline ensuite sur l’information, sur la musique. On réfléchit sur comment, dans une société en crise, où il y a des tensions, de réels problèmes, comment des jolis mots comme le vivre ensemble dans la vie courante ça se traduit ? Si c’est du vivre ensemble auquel on aspire, on ne peut pas s’enfermer dans un style. Il faut que tous soient représentés sur l’antenne. Alors il y a la loi qui nous oblige à 40% de
diffusion de chanson française, il y a historiquement une origine pop-rock, mais si vous nous écoutez on diffuse aussi des musiques du monde, du jazz, du blues, du rap… À l’image d’une société qu’on aimerait, une société de métissage, de mélange, multiculturelle.