Le guitariste chalonnais Christophe Lartilleux a collaboré au biopic consacré au célèbre guitariste Django Reinhardt, sorti en salles le 26 avril dernier. En tant que spécialiste de la guitare manouche et de Django, il a travaillé sur le film en tant que le doubleur main/guitare. Il a conseillé l’acteur Reda Kateb pendant son apprentissage de l’instrument. Il nous raconte cette expérience peu commune.
Comment as-tu été recruté pour travailler sur le film “Django” ? Comment la production a pris contact avec toi et à quel moment es-tu intervenu ?
Christophe : Les admirateurs Django Reinhardt, dont je fais parti, étaient dans l’attente d’un film sur la vie du guitariste. Au printemps 2015, sur un forum lui étant dédié, l’information se précise et on apprend qu’un biopic sur une période de sa vie est bien en prévision. Plusieurs guitaristes présents sur le forum qui savaient que je connaissais la technique de jeu de Django Reinhart ont émis l’idée que je puisse participer au film. Deux mois plus
tard, je reçois un sms de Stéphane Batut, directeur de casting qui travaillait avec Etienne Comar, le réalisateur, pour les rencontrer et passer un casting. Lors de mon premier rendez-vous avec le réalisateur, il m’a passé un morceau de Django Reinhart et il m’a demandé de jouer par-dessus, il a rapidement vu que j’étais à l’aise avec la technique de l’artiste et au second entretien il m’a demandé si j’étais intéressé pour jouer en tant que doubleur main guitare pour ce film et j’ai accepté naturellement ! J’ai donc été choisi pour deux choses : doubleur main-guitatre pour les plans de jeu de Django et être acteur dans le film. Mais je n’ai pas été très convaincant en tant qu’acteur puisque ce n’est pas mon métier et les scènes tournées avec moi ont été retirées au montage final.
En quoi consiste le métier de doubleur guitare ? Comment s’est passé la préparation du tournage ?
C : Je me suis attaché à faire revivre le savoir-faire de l’artiste à l’écran. Pour cela, il fallu adopter et copier son célèbre jeu à deux doigts. Concernant la préparation, on m’a fait parvenir une liste de morceaux à travailler en octobre 2015, sachant que le tournage se ferait fin février 2016. J’ai alors commencé une période de travail intensif
pendant 4 mois ou j’ai du travailler entre 4 et 6 heures par jour. J’ai aussi rencontré Reda Kateb, l’acteur incarnant Django, qui était complètement novice en guitare, afin de lui apprendre à imiter la posture du guitariste. En complément un autre guitariste venait me seconder dans l’apprentissage de l’acteur. Il n’était pas spécialisé dans la guitare manouche mais il habitait plus prés de Reda ce qui permettait un suivi pluis régulier. Cela a duré 1 an et ça a
permis à l’apprenti Django de rentrer dans la peau du personnage. Reda à l’œil et de la mémoire et il s’en est très bien sorti. Seul les guitaristes expérimentés peuvent déceler les petites imperfections.
Quels ont été les moyens utilisés pour faire revivre Django Reinhardt et sa musique à l’écran ?
C : Etienne Comar a tenu à ce que ça paraisse le plus réaliste possible pour que le spectateur soit
complètement transporté dans le film. Pour cela des photos de mes mains et de celles de Reda ont été prises pour vérifier la ressemblance, même chose pour notre corpulence en costume. Pour le maquillage, nous étions à l’identique sur le tournage. Un des éléments le plus important était l’utilisation de la prothèse de la main blessée de Django. Pour cela, l’équipe a réalisé une prothèse en silicone pour reproduire sa brulure. Ils nous ont demandés, à Reda et moi, de mettre la main dans un moule pour prendre l’empreinte des doigt et de la main. Il a fallu relever l’auriculaire et l’annulaire comme les doigts du guitariste qui été tirés en arrière. Le moule reproduit exactement la brûlure de Django avec les tendons atrophiés, elle partait du poignet jusqu’aux phalanges. Cette étape représente 2 semaines de travail avec de nombreux aller-retour à Paris. Pour la pause de la prothèse et son maquillage, çela représentait environ 1h30 tous les jours. Ensuite j’ai fait des essais à la guitare pour voir comment je jouais avec ce handicap. Il faut savoir qu’il fallait une nouvelle prothèse en silicone par jour avec à chaque fois une nouvelle séance complète de maquillage. Il en a fallu 56 au total : 45 pour Reda Kateb et 11 pour moi.
Comment ce sont passé ces 11 jours de tournage ?
C : Déjà il m’a fallu appréhender le langage du cinéma que je ne connaissais pas du tout, découvrir les plans de tournage et le jargon de l’équipe technique. Le tournage en lui-même a représenté 15h de présence par jour. On a beaucoup tourné dans la région Rhône-Alpes pour être raccord avec la véritable histoire de Django. Le film se déroule en 1943, période pendant laquelle il a quitté Paris parce qu’il ne voulait pas jouer pour Hitler à Berlin. Il se dirige alors vers la Suisse mais il est capturé par des généraux allemands et doit jouer pour eux. Tout ces évènements se passent aux alentours du lac Léman et de Thonon-Les-Bains.
Comment ont réagi les membres de la famille de Django Reinhardt ?
Ils ont très bien réagi ! Il faut savoir qu’il y a eu plusieurs projets proposés à la famille, dont des productions américaines. Au final, c’est la proposition d’Etienne Comar avec son angle d’approche de l’histoire de Django qui a été retenu. C’est David Reinhardt, le petit fils de l’artiste, qui a les droits sur l’image de son grand père. Je le connaissais avant le film puisque nous avions déjà joués ensemble.
Qu’as-tu découvert sur Django Reinhardt en plus de ce que tu sais déjà ? Qu’est-ce que cette aventure t’a apporté personnellement ?
C : Même si de mon côté, je m’étais déjà beaucoup renseigné sur sa vie, son œuvre, j’ai tout de même appris des
choses, à la fois sur le plan personnel et sur mais aussi musical, grâce notamment à l’auteur Alain Antonietto qui a une connaissance encyclopédique de l’artiste et qui a participé au film. Pour l’anecdote, quelques jours avant le tournage on a trouvé sur le web une vidéo montrant Django Reinhardt sans sa guitare mais en train de marcher vers un fan pour lui faire un autographe. Ce sont des images très rares. Avant ça, je ne l’avais jamais vu debout, en mouvement. On l’a transféré à Reda pour qu’il puisse s’approprier la démarche de Django. Le timing entre la découverte de ce document inédit et le début du tournage était incroyable !
Il paraît que dans le film, la version du morceau Manoir de mes rêves de Django Reinhardt, c’est toi qui l’interprète. Tu peux nous en dire plus ?
C : Oui en effet, en fait c’est un peu le fruit du hasard : le guitariste préposé à enregistrer la totalité des morceaux pour le film est Stochelo Rosenberg mais un peu avant le tournage il s’est brisé le petit doigt du coup il n’a pas pu enregistrer pour les playbacks pour le plateau de tournage, j’ai dû m’en occuper. Une fois remis de sa blessure, il a réenregistré toutes les musiques pour le montage du film final mais ma version de Manoir est restée et c’est elle qui a été gardé pour le générique.